Jacques-Émile Ruhlmann
Figure majeure de l’esthétique Art déco, Jacques-Émile Ruhlmann, l’un des plus célèbres décorateurs des années 1930, a conçu et dessiné l’ensemble du mobilier du salon Afrique du Palais de la Porte Dorée, salon d’apparat qui, pendant l’Exposition coloniale de 1931, accueillait le bureau de réception du ministre des Colonies, Paul Reynaud.
Né le 26 août 1879 et mort le 15 novembre 1933 à Paris, Jacques-Émile Ruhlmann est un autodidacte, qui a travaillé dès son plus jeune âge dans l’entreprise familiale de décoration, la société Ruhlmann, spécialisée dans la peinture, le papier peint et la miroiterie, située au Marché-Saint-Honoré à Paris. En 1907, à la mort de son père, il en reprend la direction et peut dès lors financer ses projets artistiques. Se formant lui-même aux techniques d’architecture intérieure et décorateur, il commence à dessiner ses premiers meubles pour lui et ses proches. Sans être formé au métier d’ébéniste, il imagine chacun de ses meubles, esquissés dans ses cahiers de croquis (dont certains seront même publiés), et en supervise le plan d'exécution et la fabrication confiés à ses collaborateurs.
Créateur de meubles de luxe
En 1910, il participe au Salon d’automne et commence à se faire un nom, synonyme d’élégance et de raffinement, sur la place de Paris. Les commandes affluent et il devient un créateur reconnu de meubles de luxe. Il développe l'entreprise et, en 1912, l’installe dans un immeuble à double façade rue Maleville. Il y poursuit l'activité peinture, papier peint et miroiterie, et crée une agence spécialisée dans la décoration rue de Lisbonne.
De 1913 à 1923, il fait appel aux artisans du faubourg Saint-Antoine pour exécuter les meubles qu'il dessine ; les maisons Haentges frères et Fenot sont ses principaux fournisseurs. En 1919, il s’associe à Pierre Laurent et fonde les Établissements Ruhlmann et Laurent, et achète un bâtiment industriel rue d'Ouessant près du Champ-de-Mars, pour y installer ses ateliers de décoration (peinture, tapisserie, papier peint et miroiterie). En 1923, pour faire face à l'augmentation de son activité, il y ouvre un atelier d'ébénisterie, l’atelier de création demeurant rue de Lisbonne.
La réalisation des meubles dessinés par Ruhlmann et portant son estampille au fer est toujours confiée à de talentueux ébénistes, formés pour la plupart à l’école Boulle. Il collabore également avec d’autres artisans, notamment pour les bronzes ou encore les panneaux en laque, qui habillent certains meubles, réalisés par Jean Dunand.
L'Exposition des Arts décoratifs
En 1925, à l’Exposition des Arts décoratifs (qui donna son nom au style Art déco), il prend en charge la direction artistique de l’Hôtel du collectionneur, véritable manifeste de l’architecture Art déco. Pour ce temple du luxe, qui représente l'intérieur idéal d'un riche amateur des années 1920, Ruhlmann fait appel à une quarantaine d’artistes et artisans, qui deviendront de grands noms de l’Art déco : l’architecte Pierre Patout, les sculpteurs Alfred Janniot (auteur du groupe sculpté Hommage à Jean Goujon), Charles Hairon, Antoine Bourdelle, François Pompon et Joseph Bernard (qui sculpte la Frise de la danse qui surmonte le pavillon), le ferronnier Edgar Brandt, la tabletière Eugénie O'Kin, les peintres Jean Dupas et Henri Marret (auteur des fresques qui décorent le péristyle du pavillon) ainsi que les tapissiers et dessinateurs Roger Reboussin et Émile Gaudissard. Dans le grand salon ovale, l'Héraklès d'Antoine Bourdelle est posé sur un meuble de Ruhlmann laqué par Jean Dunand. Certains éléments de la décoration de l’hôtel seront achetés par le Metropolitan Museum of Art de New York l’année suivante.
En 1927, Ruhlmann conçoit le décor et le mobilier du salon de thé des premières classes du paquebot Île-de-France.
Le style Ruhlmann, aux lignes épurées et élégantes, ne reste pas cantonné à la création de meubles. Véritable « décorateur-ensemblier », il conçoit l’ensemble de la décoration, telle une œuvre d’art totale, faisant appel à tous les arts décoratifs (ébénisterie, marqueterie, céramique, ferronneries, luminaires, tapis et textiles…), et utilisant des matériaux raffinés, qui empruntent au domaine du luxe, véritable signature de l’esthétique Art déco. Les meubles sont toujours ornés de placages somptueux, réalisés en essences exotiques rares comme le palissandre des Indes et du Brésil, l’ébène de Macassar (Indonésie), l'amarante de Guyane ou l'acajou de Cuba, souvent incrustés d’ivoire, de corne ou d’écaille.
La décoration et l'ameublement du salon Afrique
En 1931, Albert Laprade, l’architecte du Palais de la Porte Dorée, lui commande la décoration et l'ameublement du bureau de réception du ministre des Colonies Paul Reynaud, dit le Salon Afrique.
Ruhlmann a créé, pour ce salon de réception, un ensemble mobilier exceptionnel en ébène de macassar, classé au titre des monuments historiques, dont un bureau avec un plateau gainé de galuchat (peau de raie transformée en cuir) incrusté de filets d'ivoire en diagonales, ainsi que quatre fauteuils dit Éléphants, fauteuils club garnis de maroquin brun passepoilé de blanc.
Il conçoit également le dessin des deux portes monumentales à deux battants (dont les poignées sont réalisées en ivoire de cornes de phacochère) et du parquet en marqueterie, toujours en ébène de macassar, souligné d'un filet de citronnier, un bois clair qui fait contraste avec la couleur sombre de l'ébène.
Jacques-Émile Ruhlmann meurt à 54 ans le 15 novembre 1933 à Paris. Il avait dessiné son monument funéraire pour le cimetière de Passy, dont il avait confié l'exécution à Pierre Patout et Alfred Janniot qui réalisa une sculpture en marbre noir La flamme du souvenir. En application de son testament, sa firme ne lui a pas survécu.
Aller plus loin
Jacques Émile Ruhlmann, Florence Camard, Éditions Monelle Hayot, 2009
Cet ouvrage richement illustré permet au lecteur de s’immerger dans l’œuvre du plus célèbre créateur Art déco, qui a conçu le décor du salon Afrique du Palais de la Porte Dorée, maîtrisant la totalité du processus créatif (le dessin du mobilier, celui des motifs du sol en marqueterie, le choix des matériaux pour les habillages en bois du décor).