Jean Dunand

Grand nom du mouvement Art déco, Jean Dunand (1877-1942) est un artiste pluridisciplinaire : décorateur, sculpteur, dinandier, ébéniste, mosaïste et peintre, d’origine suisse, qui a introduit en France la technique de la laque, à laquelle l’a initié un maître japonais en 1912. Il utilise cette technique pour réaliser dix panneaux de laque devant décorer la bibliothèque du Palais de la Porte Dorée en 1931.

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Jeand Dunand dans son atelier
Jean Dunand (1877-1942) laqueur, dinandier et sculpteur français de la période Art Déco (style 1925). Paris, vers 1940.
© Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Né le 20 mai 1877 à Lancy en Suisse et mort le 7 juin 1942 à Paris, Jean Dunand suit d’abord une formation de sculpteur en 1891 à l’École des arts industriels de Genève, puis part poursuivre ses études de sculpture dans l’atelier de Jean Dampt à l’École des Arts décoratifs à Paris en 1898. Il devient apprenti dans un atelier de modelage, staff et décoration, où il se lie d’amitié avec Paul Jouve qui deviendra l’un des sculpteurs animaliers les plus talentueux de la période Art déco. Dunand participe à l'Exposition universelle de Paris de 1900 en tant qu'exposant suisse. Sa sculpture en bronze Quo Vadis y obtient une médaille d'or.

À partir de 1903, Dunand réalise de nombreuses décorations d’hôtels particuliers pour le compte de Jean Dampt (sculpture de lambris et de meubles), ce qui lui ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine des arts décoratifs. En 1904, il s’installe dans son atelier rue Hallé dans le 14e arrondissement de Paris, dans lequel il travaillera jusqu’à sa mort en 1942.

De la dinanderie à l'art de la laque

En 1905, Jean Dunand se consacre de plus en plus à la technique de la dinanderie, travail du métal, et expose de nombreuses pièces en cuivre ou laiton martelé, qui rencontrent beaucoup de succès et imposent son nom dans le domaine des arts décoratifs. En 1906, il figure à l'Exposition internationale de Milan en tant qu'artiste suisse, dans la section des arts décoratifs, et obtient une médaille d'or pour ses dinanderies. Ses œuvres figurent dans de nombreuses expositions d’artistes à Paris et à Genève et sont achetées par les musées (musée des Arts décoratifs de Paris, musée de Genève, musée du Luxembourg à Paris, etc.). Il devient membre de la Société des Artistes décorateurs en 1909 et participe ensuite à tous ses salons annuels.

En 1910, il participe au Salon d’automne et commence à se faire un nom, synonyme d’élégance et de raffinement, sur la place de Paris. Les commandes affluent et il devient un créateur reconnu des arts décoratifs, principalement en réalisant des vases en métal martelé et sculpté, parfois de grand format.

L’année 1912 constitue une année-charnière dans sa carrière : il est initié à la technique de la laque par un maître-laqueur japonais Seizo Sugawara (1884-1937), installé à Paris depuis 1906, qui a également enseigné cet art millénaire à l’architecte et designer irlandaise Eileen Gray.

L’art de la laque est attesté en Chine depuis plus de 3 000 ans, puis a été maîtrisé au Japon à partir du VIIe siècle, pour se répandre dans toute l’Asie du Moyen-Âge pour décorer les objets utilitaires de grand luxe. Cette technique a atteint son apogée au XVIIIe siècle avec les laques de Coromandel, qui tirent leur nom de la côte de l’Inde, d’où les bateaux de la Compagnie des Indes exportaient les paravents chinois, dont raffolait la clientèle aristocratique européenne. Les ébénistes européens du XVIIIe siècle réutilisaient ces plaques décorées avec raffinement pour habiller leurs meubles.

Grâce à Jean Dunand, cette technique prend un nouvel essor dans les arts décoratifs du XXe siècle et devient l’un des marqueurs du style Art déco. Technique minutieuse, nécessitant jusqu’à 40 couches superposées, la laque constitue alors son matériau de prédilection, qu’il utilisa sur le métal et sur le bois sur ses propres œuvres (panneaux ou paravents), alors en vogue, mais aussi pour des meubles d’autres décorateurs tels que Printz et Ruhlmann.

La guerre et l'après-guerre

Lors de la déclaration de la guerre en 1914, Jean Dunand, encore de nationalité suisse (il sera naturalisé français en 1922), s’engage auprès de la Croix-Rouge française, comme conducteur d'ambulance. Il met au point un nouveau modèle de casque avec visière relevable amovible, en acier de manganèse, embouti à froid d'une seule pièce, pour protéger les yeux des combattants des éclats d’obus, les projections de terre et les jets de liquide enflammé.

Dans l’effervescence artistique de l’après-guerre, les œuvres en laque de Jean Dunand aux décors géométriques stylisés atteignent un degré de raffinement et d’originalité qui en font un artiste recherché par une riche clientèle avide de luxe, mais aussi pour des collaborations avec des artistes renommés. C’est le cas de Jacques-Émile Ruhlmann qui le sollicite pour les habillages en laque de ses nombreux meubles, notamment celui qu’il expose dans son Hôtel du collectionneur, véritable manifeste de l’architecture Art déco, à l’Exposition des Arts décoratifs de 1925 (qui donna son nom au style Art déco). Dunand est impliqué à différents titres dans l’exposition de 1925 : réalisation de quatre vases monuments pour la cour intérieure du pavillon des Métiers d’art ; décoration du fumoir japonisant en laque noir et rouge des appartements privés du Pavillon d’une ambassade française ; vases pour le stand de la modiste Madame Agnès dans le Pavillon de l'élégance ; panneaux de laque dans un appartement de grand luxe réalisé pour la Compagnie générale transatlantique dans la section Moyens de transport, aux côtés de verreries de René Lalique…

Le créateur Art déco

Dans toutes ses expositions dans la galerie Georges Petit, épicentre du style Art déco, Jean Dunand multiplie les usages de la laque et étend son domaine d’expression artistique sur une multitude de supports : vases, plateaux, articles pour fumeurs, brûle-parfums, boîtes, bonbonnières, cendriers, coupes, paravents, tables basses, tables gigognes, panneaux décoratifs, devants de cheminée, bas-relief, décoration intérieure de limousines, etc. Il est dorénavant à la tête d'un atelier employant près de 60 ouvriers pour satisfaire les commandes qui affluent.

Il réalise même des bijoux (bracelets, colliers, manchettes, boucles et agrafes adaptables aux souliers, aux chapeaux et aux ceintures…) exécutés en métal frappé à incrustations de métal argenté ou de coquille d'œuf, ou bien sûr laqués, aux motifs géométriques, destinés aux maisons de couture Worth, Elsa Schiaparelli, Madeleine Vionnet ou Jeanne Lanvin.

En 1927, Dunand participe aussi à la décoration du paquebot Île-de-France, où interviennent les autres grands noms de l’Art déco, dont l’incontournable Ruhlmann. Suivront d’autres panneaux de laque de grande dimension pour les paquebots L’Atlantique en 1930 (détruit, avec les laques, par un incendie en 1933) et Le Normandie en 1931.

C’est au Salon des artistes décorateurs de 1930, que Dunand présente en avant-première dans un « vestibule colonial » sept laques qu’il a réalisés pour décorer le futur Musée des colonies qui ouvrira lors de l’Exposition coloniale de 1931. Il en fit don après l’Exposition à l’État, qui avait déjà acquis en 1929 le grand format La forêt (panneau de 3 m de haut et 3,30 m de large). Au total, dix panneaux de laque, représentatifs des différentes techniques de laque (laque arrachée, laque de Coromandel, laque défoncée) ornent la double salle de lecture du Musée des colonies.

Aller plus loin

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couverture du livre jean dunand

Jean Dunand, Félix et Amélie Marcilhac, Éditions Norma, 2020, 416 p.

Ce catalogue raisonné illustre la totalité de l’œuvre foisonnante de Jean Dunand, figure majeure du mouvement Art déco et artiste pluridisciplinaire (décorateur, sculpteur, dinandier, ébéniste, mosaïste et peintre).

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