La section rétrospective
Lorsque l’on approche du Palais de la Porte Dorée en venant du métro ou du tramway, on peut découvrir, gravée sur le mur ouest du bâtiment, une liste de noms à travers laquelle la « France reconnaissante » rend hommage « à ses fils ayant étendu l’empire de son génie et fait aimer son nom au-delà des mers ». Sont présents armateurs (Jean Ango) ou financiers (Jacques Cœur), explorateurs (Jacques Cartier, Lapérouse), botanistes (Adanson, Bougainville), diplomates (Lesseps), commis de l’état (Colbert, Dupleix), souverains (Saint-Louis, Godefroy de Bouillon), marins ou militaires (Lapérouse, le duc d’Aumale), hommes politiques (Victor Schoelcher) et de nombreux autres. La colonisation était pensée au sens large, aussi bien d’un point de vue temporel que géographique et le Palais, seul bâtiment construit pour survivre à l’exposition fut bel et bien utilisé comme moyen de légitimer la colonisation et son œuvre, dans cette inscription comme dans son décor. Ce sont les mêmes hommes que l’on retrouve dans la section rétrospective, une des deux grandes sections aménagées dans le palais en 1931, au rez-de-chaussée supérieur ; elle était dédiée à l’expansion coloniale depuis les Croisades jusqu’au début de la IIIe République ; à l’étage, la section de synthèse prenait la suite (l’expansion coloniale et la mise en œuvre de la colonisation jusqu’en 1930).
La section rétrospective devait « faire revivre sous la forme la plus artistique et la plus attrayante l’expansion de la France du passé ». Désireux de s’adresser à un large public, et craignant qu’une exposition trop savante ne touche que quelques érudits, les organisateurs imaginèrent trois types de présentation, réparties sur deux niveaux : au rez-de-chaussée supérieur, des galeries présentant des documents et des objets d’art sur des cimaises et dans des vitrines et, dans les deux halls, des ensembles reconstitués ; au rez-de-chaussée inférieur, des dioramas.
Dans les trois galeries, se succédaient œuvres d’art, objets, documents (archives, cartes, livres, plans), reproductions (maquettes, moulages, photographies). De part et d’autre d’une allée centrale, l’espace était compartimenté par des cimaises agrémentées de drapeaux ; de grandes vitrines octogonales dessinées par l’architecte Albert Laprade ainsi que des mannequins en costumes militaires ponctuaient le parcours. Aux extrémités, étaient accrochées des œuvres de grand format (tableaux, tapisseries). À l’instar de ce qui s’était fait en 1922 pour l’exposition coloniale de Marseille, les organisateurs souhaitaient que soient présentées les premières possessions coloniales et les figures de précurseurs et de découvreurs illustres. Le parcours, chronologique, débutait avec les croisades, en écho à Saint-Louis et Godefroy de Bouillon présents sur le mur extérieur, et se poursuivait avec les expéditions maritimes et les premières colonies autour des figures de Ango, Cartier, Colbert, Dupleix, Lapérouse etc.
Si de nombreux prêts provenant de musées et de particuliers avaient été consentis, certains objets avaient été acquis ou commandés pour l’occasion, parfois dans un esprit archéologique. Ainsi, dans la partie consacrée aux croisades, on avait installé, au centre, la maquette du crac des chevaliers, spécialement conçue pour l’exposition (échelle de 1 cm par mètre), ainsi que deux autres, exécutées à partir des recherches récentes effectuées par Paul Deschamps en mission au Proche-Orient ; autour, sur les cimaises, étaient accrochées une trentaine de photographies des autres châteaux construits par les croisés en Syrie et en Palestine ; le bassin d’Hugues IV de Lusignan et des moulages de chapiteaux de Nazareth complétaient l’ensemble. Pour illustrer la fin du Moyen Age, le musée d’Epernay avait prêté une de ses œuvres maîtresses, Le Siège de Rhodes par les Turcs en 1480.
La Renaissance était illustrée par la figure de Jean Ango, armateur et navigateur dieppois. On avait fait réaliser un moulage de la frise des sauvages de l’église Saint-Jacques de Dieppe (1520) et deux copies de vitraux des églises de Neuville-lès-Dieppe et de Villequier (marins et vaisseaux partant à la découverte de nouvelles terres) commandées au maître-verrier Emile Brière. À l’étage inférieur, un diorama mettait en scène Ango recevant les capitaines de ses navires devant François 1er. Le XVIIe et le XVIIIe siècle étaient surtout représentés par des portraits, des tapisseries des Gobelins, des maquettes de bateaux, une proue de navire ; l’ensemble était agrémenté du mobilier rapporté d’Inde par le professeur Jouveau-Dubreuil, mobilier fabriqué par des artisans européens s’inspirant de motifs français et indiens. Les vitrines de Laprade abritaient des petits objets : éventails, médailles, porcelaine, statuettes.
Dans les deux halls qui jouxtent la salle des fêtes, l’accent était mis sur l’influence des colonies sur les arts français ; dans des petits salons meublés décorés de papiers peints, de toiles de Jouy ou d’indiennes, étaient évoqués Paul et Virginie, la colonie éphémère du Champ d’Asile, le Brésil, l’Hindoustan. Le roman de Bernardin de Saint-Pierre occupait une place de choix avec de nombreuses éditions, des estampes, des objets décorés. Dans le fond d’un des deux halls, un espace était dédié à l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène. On peut s’interroger sur sa pertinence dans une telle exposition, l’île ayant été découverte par un navigateur portugais et appartenant au Royaume uni depuis que la Compagnie britannique des Indes orientales s’en est emparée au XVIIe siècle. Associations, musées et collectionneurs avaient prêté le mobilier et les objets conservés par l’empereur dans sa chambre du domaine de Longwood. Est-ce, de façon plus générale, le conquérant que l’on voulait célébrer ?
Au rez-de-chaussée inférieur, des dioramas mettaient en scène certains personnages évoqués plus haut mais aussi des figures anonymes (colons, indigènes). Ils représentaient des scènes caractéristiques ou des épisodes ayant marqué le passé colonial de la France. On avait demandé aux artistes chargés de les réaliser d’éviter toute banalité ; les personnages du premier plan devaient être de grandeur nature et porter des costumes d’une authenticité rigoureuse. L’idée étant de faire revivre le passé colonial de la France « sous une forme saisissante et avec tout l’attrait d’un spectacle ».
Le choix des sujets veillait à une répartition équitable entre les différentes périodes historiques et les différents territoires colonisés : Saint-Louis à Saint-Jean d’Acre ; Jacques Cartier arrivant sur le Saint-Laurent devant Québec ; Une sortie de messe à Québec en 1750 ; L’arrivée des colons à la Nouvelle-Orléans ; Dupleix recevant les nababs ; Bugeaud organisant des colonies de cultivateurs en Algérie ; Le Sénégal sous Faidherbe ; La signature du traité de Hué en 1863 ; L’Amiral Dupetit-Thouars à Tahiti.
La liste initiale en comptait une vingtaine mais seulement la moitié a été réalisée, faute de place. Ainsi, celui sur L’abolition de l’esclavage à Saint-Denis-de-la-Réunion en 1848, commandé à Jean Bouchaud, n’a pas été retenu. En revanche, celui sur Joséphine dans sa maison de la Martinique par Germaine Casse, a bien été réalisé. Ces dioramas n’ont pas survécu à l’exposition coloniale mais certains d’entre eux sont connus par des photographies réalisées par la maison Braun.
Contrairement à la section de synthèse pour laquelle on a conçu un mobilier muséographique original, l’aspect général de la section rétrospective était (sans doute de façon volontaire) plus désuet : des galeries monotones encombrées d’objets hétéroclites, où l’œuvre d’art est noyée dans un fatras de souvenirs militaires (drapeaux, mannequins, médailles) et de documents en tous genres, des cimaises sur pied peu élégantes, des dioramas d’un type déjà dépassé.
Seules les belles vitrines octogonales de Laprade, surmontées de vases éclairants apportent une touche artistique. Au-delà des effets spectaculaires recherchés, on saluera le souci de précision historique et la démarche archéologique à travers les moulages, les maquettes, les photographies spécialement réalisés pour l’exposition.