L’Aquarium tropical ou la section des eaux coloniales
Pour faire pendant au parc zoologique de l’Exposition coloniale de 1931 qui préfigurera le futur Zoo de Vincennes, le commissariat de la section de synthèse du musée permanent des Colonies valide la construction d’un Aquarium définitif au sein du Palais de la Porte Dorée le 9 octobre 1929. L’objectif était de présenter au public la faune marine et fluviale des colonies exploitable et immédiatement à leur suite tous les produits et sous-produits de leur exploitation, pour pallier progressivement l’appauvrissement des fonds de pêche métropolitains.
Attraction de l’Exposition coloniale de 1931
La création de cet « Aquarium colonial » constitue pour l’Exposition coloniale une attraction nouvelle et inconnue en France : le spectacle de poissons coloniaux placés, autant que possible, dans leur milieu biologique. La réalisation de ce projet dotait également Paris d’une institution possédée déjà par les principales capitales du monde.
Le projet de l’Aquarium et de l’Exposition de synthèse des faunes marines et d’eaux douces des colonies et de leur exploitation industrielle est confié à Abel Jean Gruvel, (1870-1941), directeur du Laboratoire colonial des pêches et productions d’origine animale au Muséum national d’histoire naturelle, qui a mené depuis 1912, un travail d’étude et de conseil.
L’Aquarium, aménagé au sous-sol du musée des Colonies, présente au public un ensemble de 56 bacs groupés en 3 sections. La section d’eau douce et celle d’eau de mer sont groupées autour de la grande salle carrée et la troisième, la section des poissons exotiques acclimatés, composée de petits et moyens bacs, est positionnée sous l’escalier d’honneur. Entre l’aquarium tropical et le grand aquarium se trouve une fosse terrarium, contenant les crocodiles et des tortues. Au centre de la grande salle, une fosse elliptique accueille un planisphère animé et éclairé montrant la formation de l’empire colonial français.
Dans les aquariums marins, parmi lesquels deux grands bacs d’une longueur de 3,50 m, dimension qui n’avait jamais été réalisée nulle part, le public devait découvrir des poissons, des crustacées, des tortues, des requins, tels que les roussettes et des requins marteaux, de grandes raies, ainsi que des anémones de mer et différents mollusques, calamars, sèches, pieuvres et poulpes. La deuxième section devait présenter des espèces originaires d’Indochine, d’Afrique équatoriale, d’Inde et de Guyane, tels que des poissons rouges, des silures et des scalaires et des piranhas. La troisième section montrait un certain nombre d’espèces exotiques acclimatées en Europe, comme la perche d’Amérique, la tanche rouge, l’ide melanote ou le labre « canari » jaune d’or.
La capacité des grands bacs a permis la prise de vues cinématographiques, représentant la pêche à la tortue, telle que la pratiquaient les Malgaches. Malheureusement ce film unique a été détruit lors de l’incendie d’un des studios Albert Mourlan.
Le terrarium, un bassin d’eau douce entouré de végétation, abritait de nombreux spécimens de reptiles et de batraciens exotiques : crocodiles, alligators, lézards, grenouilles et crapauds. Pour le professeur Gruvel, cet aquarium devait permettre une présentation scientifique mais aussi artistique. « Nous voudrions donner au public qui pénètrera dans l’Aquarium l’impression nette de se trouver dans une vaste grotte entourée de tous côtés d’eau dont il apercevrait les habitants par des ouvertures pratiquées dans la paroi, comme des grands hublots de verre d’un énorme sous-marin. »
Il confie à M. Landois, peintre et sculpteur, toute la décoration des bacs de l’Aquarium. Pour reconstituer les milieux aquatiques, il compose chaque aquarium comme un tableau. Pour mettre en valeur les différentes variétés de poissons, ne gêner en rien leurs mouvements, donner l'illusion qu'ils ne sont pas enfermés, il réalise de nombreuses dispositions de fonds, de pierres et de plantes prolongés par des peintures sur verre placées au fond des bacs. « Ici, une coloration verdâtre donne toute leur valeur aux rouges des poissons à queue de voile. Là, dans l'eau de mer reconstituée, des actinies fleurissent pour le plaisir des poissons de Sumatra qui s'amusent à soulever de légers nuages de sable. Fines dentelles de gorgone où s'accrochent les hippocampes, décor d'ardoise sobre et net comme la ligne des Silures, décors de marbre, anfractuosités, grottes, entassements de granit escaladés sans cesse par les Tortues franches aux ailes d'ange » décrit M. Landois. Tout est démontable et en cas d'épidémie, les fonds s'enlèvent, les pierres se déboîtent, la désinfection serait complète.
L’exposition des produits des eaux coloniales montrait tous les produits et sous-produits que les animaux marins pouvaient fournir pour leur exploitation.
Pour les poissons, deux grandes vitrines montraient des espèces naturalisées les plus intéressantes d’un point de vue comestible, industrielle, puis les bateaux et outils qui servent à les capturer. Une grande vitrine montrait des poissons séchés et salés, des conserves, de l’huile, des farines et des colles. Une vitrine détaillait l’utilisation des peux de requins, de raies sous forme de sacs, souliers, galuchat, etc.
Pour compléter cette exposition, d’autres vitrines présentaient les grands produits coloniaux marins : écailles, nacres, perles, coraux et éponges, à côté des animaux naturalisés.
Les transformations de 1934
A l’issue de l’Exposition coloniale, l’Aquarium ne ferme pas et son aménagement se poursuit par l’installation en 1934 d’un grand terrarium pour remplacer le planisphère lumineux. M. Landois imagine pour ce terrarium de reproduire un morceau de l’Afrique équatoriale : « Rocher, de cinq mètres de haut sur sept mètres de long, chute d'eau de deux mètres quatre-vingts d'un débit, à la minute, de six cents litres d'eau à vingt-cinq degrés, trois bassins de quinze mètres carrés de superficie chacun et plage de sable de quinze mètres carrés. Tel sera, au centre de la salle, le plus grand de ces "paysages", repaire des crocodiles de trois à quatre mètres. »
Il ne faudra pas moins de quarante-cinq tonnes de pierres, pour construire les barrages du grand terrarium, un nouveau dispositif d’éclairage ultraviolet et infrarouge pour remplacer la lumière du jour et une ventilation spéciale pour accueillir les crocodiles.
En 1934, l’Aquarium inaugure sa première exposition temporaire : « L’application décorative du poisson exotique », qui rassemble près de deux cents artefacts. Le catalogue publié à cette occasion est conservé dans les archives du Muséum et rend compte de la diversité des prêts réalisés tant auprès de propriétaires privés que de la Manufacture de Sèvres. Sont ainsi exposés aux côtés d’une aquarelle d’Odilon Redon, des modèles en grès de E.-M. Sandoz, des carpes et panneaux décoratifs en bois de G.-H. Laurent et des cartons de vitraux d’Auguste Matisse.
Au cours de la Seconde guerre mondiale, l’Aquarium est placé sous l’autorité de l’armée allemande qui reçoit des propositions de changement de système de chauffage pour le terrarium pour en réduire les coûts. Les S.S. donnent l’autorisation au personnel de l’Aquarium de pêcher dans la Seine en vue de ravitailler les espèces tropicales de l’Aquarium.
Alors même que les objectifs de l’Aquarium tropical sont aujourd’hui diamétralement opposés à ceux de l’Exposition coloniale, puisqu’il s’agit de participer à la conservation des milieux naturels et de préserver des espèces menacées, celles-là même que les concepteurs incitaient à exploiter en 1931, les dispositions des bacs et des terrariums sont identiques à celles que pouvait découvrir un visiteur de l’Exposition coloniale.