Le Palais de la Porte Dorée, théâtre du renouveau de la peinture à fresque au début du XXème siècle

Au Palais de la Porte Dorée, trois groupes de peintres pratiquent le buon fresco, la bonne et la vraie fresque, c’est-à-dire la peinture sur enduit frais composé de chaux aérienne. Une technique et un art pratiqués dès l’Antiquité, mais supplantés, à partir du XVIème siècle, par la peinture à l’huile. À la fin du XIXème, des artistes cherchent à reconstituer le savoir perdu, animés notamment par les découvertes archéologiques et les publications d’ouvrages techniques anciens. Les artistes du début du XXème trouvent dans la fresque ce qu’ils recherchent depuis une trentaine d’années : fraîcheur de tons, transparences et matité. À travers ce medium, ils renouent aussi avec la notion de synthèse des arts, où le peintre œuvre avec le sculpteur, le mosaïste ou l’architecte pour créer un art monumental englobant le spectateur.

En France, Paul Baudoüin réussit à reconstituer cet art oublié. Il publie en 1914 le livre La fresque, sa technique - ses applications. De 1911 à 1929, il enseigne la fresque notamment aux Beaux-Arts de Paris. Son successeur, Pierre Ducos de la Haille sera une autre figure importante du renouveau de la fresque. Les fresquistes du Palais de la Porte Dorée ont été formés par Baudouïn ou Ducos de la Haille, qui dirige lui-même une des équipes.

À fresque, le peintre utilise le pigment pur seulement mêlé à l’eau. Aucun liant ne transforme la couleur en pâte qui lui permet d’adhérer à la surface. La chaux aérienne va carbonater au contact de l’air et protéger les couches picturales qui pénètrent l’enduit. Le fresquiste peint donc avant la carbonatation qui dure entre une et huit heures. Limité par ce temps restreint, le peintre doit morceler l’image en fragments ou « journées » d’enduit appelés giornate. Les modifications à fresque sont quasiment impossibles. Au Palais de la Porte Dorée, les fresquistes jouent avec la couleur de l’enduit, sa granulométrie et sa luminosité, la chaux s’éclaircissant au séchage.

La Salle des Fêtes du Palais

Les six-cents mètres carrés de parois sont peints à fresque par Pierre Ducos de la Haille et son équipe. La commande portait sur l’évocation du rayonnement de la France dans le monde. L'ensemble iconographique dégage une vision idéaliste renforcée par l'élégance du dessin et la fraîcheur des tons de la peinture à fresque.

La gamme chromatique de l’ensemble des peintures s’appuie sur le contraste des couleurs rouge orangé opposées aux verts. Ces rapports colorés correspondent aux thèmes des scènes traitées où les personnages sont intégrés au paysage. Des représentations de jardin, forêt ou campagne, ressortent les verts des plantes et les ocres des sols. Les carnations des peuples représentés vont du blanc chaud de l’enduit de sable et de chaux laissé nu, au brun le plus intense. Le tout baigne la salle d’une ambiance sensuelle et chaleureuse.

Chaque pan de mur est orchestré par de vastes surfaces de couleurs traitées en aplats ou en dégradés. Les personnages sont peints avec des ocres dilués de différentes valeurs qui rendent le volume des corps avec subtilité. Même si ces grandes scènes murales grouillent d’informations, la touche et le tracé restent synthétiques et géométriques. Courbes et diagonales structurent chaque scène et renforcent la dynamique des contrastes colorés.

Les scènes évoquant les échanges avec différents peuples sont rythmées par des pans de murs consacrés à des figures allégoriques gigantesques. Ces fresques ont été retouchées à sec pour y appliquer les ors des écritures et pour renforcer la charge de peinture de ces imposantes compositions. C’est une salle de réception ornée d’un style costaud et imposant dont le clou du spectacle est la grande fresque du fond de scène. Autre peinture allégorique, « La France et les cinq continents » ordonnée selon le principe de la symétrie, affiche un classicisme glorieux. Cependant, cette vaste salle peinte est aussi un concentré de couleurs, d'évocation de terres lointaines et de réunion de peuples à Paris, à l'orée du bois de Vincennes. Ce jeu physique et symbolique entre intérieur et extérieur est un principe fondamental de l’art mural.

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Fresque centrale du Forum
Fresque centrale du Forum du Palais de la Porte Dorée de Pierre Henri Étienne Ducos de la Haille
Photo : Lorenzö © Palais de la Porte Dorée © ADAGP, Paris, 2018

Le Salon du Maréchal Lyautey

À première vue, les fresques d’André et Ivanna Lemaître semblent évanescentes et dégagent une impression colorée acidulée. Elles pourraient laisser à penser que leur composition souple manquerait de structure. À l’inauguration du bâtiment, l’accueil de ces œuvres par les autorités, dont l’architecte du bâtiment, Albert Laprade, fut mitigé. Elles ne correspondaient pas aux codes de l’époque pour un édifice art déco exigeant sobriété, géométrie et structure.

Dans ce salon ovale et cylindrique, des images chamarrées et ondoyantes animent les imposantes parois divisées par de hautes portes et baies vitrées. Les artistes passent outre ces séparations, faisant courir les scènes d’un pan à l’autre. Des diagonales et des courbes se croisent et traversent de haut en bas les parois verticales. La composition générale ondule.

Ces fresques présentent une gamme chromatique variée, chaude et contrastée. Les artistes opposent les clairs aux foncés. Ils scandent de larges plages jaune orangé par des zones bleu violacé. La peinture est translucide, comme à l’aquarelle, et met en valeur la luminosité de l’enduit.

Les personnages, majestueux et charnels, sont en action, souvent en torsion, ce qui renforce la composition tourbillonnante.

L’ensemble donne la sensation de creuser le mur comme s’il s’agissait d’un lieu naturel, sans que ce soit du trompe-l’œil. Au-delà de la représentation, l’espace pictural suggère parfois une grotte, une coquille ou une vague.

Tout concourt à animer la surface, voire à l’annuler. Un rapport intense est établi entre la façon d’appréhender la paroi de l’architecture, l’art de la fresque et la narration. L’iconographie évoquant la sagesse et les croyances orientales, où se mêlent sensualité, énergie tellurique et sacré, est intimement liée au style et à la technique pratiqués par les Lemaître. Tout est organique et vivant.

Le Salon Paul Reynaud

L’ensemble peint à fresque par Louis Bouquet est conforme à l’esthétique en vogue à l’inauguration du bâtiment. L’ensemble paraît hiératique et noble. Une abondance de scènes et de corps orne les parois, mais le fresquiste les ordonne dans une composition complexe et rectiligne.

Sa touche est dessinée et linéaire. Il applique la peinture par aplats et par des lignes hachurées souvent placées à la verticale. Le caractère imposant des parois du grand cylindre ovale du salon en sort renforcé. Les silhouettes sont allongées, élégantes et longilignes. Ces élongations soulignent encore la verticalité de l'architecture. Toute la fresque s’articule sur une trame géométrique où l’arabesque est présente, mais stylisée.

Bouquet peint en camaïeux ou monochromes. Il traite souvent en grisailles les corps, les bâtiments et les choses. La gamme chromatique est réduite à des ocres. Les silhouettes paraissent sculpturales. Quelques couleurs plus vives sont cantonnées à une étoffe ou un objet. Il n’y a ni passage, ni effusion.

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Photo de la fresque
Scène principale de la fresque du salon Paul Reynaud
© EPPPD

Même si le résultat général manifeste sobriété et maîtrise, l’exubérance arrive par la ligne et la complexité de la composition. L’artiste accumule et imbrique les plans et les scènes, comme s’il les tissait entre eux. La stylisation des traits, les hachures, la géométrisation et la gamme colorée évoquent un tissage. Le fresquiste flirte avec un autre art mural : la tapisserie. En effet, l’espace des scènes paraît basculé à la verticale. Les personnages, souvent face au spectateur, dignes et imposants, sont plus superposés dans la hauteur du mur qu’inscrits dans une profondeur fictive.

Structurer l'espace ou le dilater

Les fresques du Palais de la Porte Dorée présentent différents moyens plastiques pour "animer" la surface verticale des hautes parois de béton de l'architecture d'Albert Laprade. 

Pierre Ducos de la Haille et son équipe ornent la salle des fêtes de fresques intenses en couleurs chaudes structurées par un dessin charpenté. L’ensemble est imposant et correspond bien à la fonction de cette vaste salle de réception.

Ivanna et André Lemaître pratiquent un style flamboyant et sensuel. Ils cassent la monotonie des hautes parois de béton et abolissent la verticalité du mur.

Alliance entre classicisme et cubisme, le langage pictural plus sobre de Louis Bouquet s’inscrit totalement dans l’esprit art déco du Palais.

Les trois équipes de fresquistes présentent des optiques variées dans le domaine de l'art mural. Il s’agit de renforcer la verticalité de la paroi ou de creuser, plier, assouplir la surface. La peinture à fresque peut structurer l'espace ou le dilater. Les démarches se côtoient et représentent l’apogée de l’art de la fresque tel que pratiqué en France au début du XXème siècle.

 

Isabelle Bonzom, 15 octobre 2021