L’éclairage de l’Exposition coloniale internationale de 1931

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Des lampadaires chenilles devant le pavillon principal de l’Italie.
Des lampadaires chenilles devant le pavillon principal de l’Italie. Négatif sur plaque de verre stéréoscopique.
Musée national de l'histoire de l'immigration

Une démonstration de modernité

À l’époque où a été construit le Palais de la Porte Dorée, l’éclairage artificiel devient une préoccupation majeure des architectes comme des décorateurs. À l’étranger, puis en France dans les années 1920, se développe un intérêt pour l’éclairage indirect (la source lumineuse est cachée, la lumière réfléchie sur diverses surfaces est douce et diffuse). En janvier 1928 apparaît une revue technique dédiée à ce sujet : Lux, la revue de l’éclairage. Cette revue mensuelle vise à présenter aux spécialistes de la construction les évolutions techniques dans le domaine de l’éclairage artificiel.

L’éclairage électrique indirect est omniprésent dans l’Exposition coloniale de 1931 et son utilisation sur une surface de cette ampleur est inédit. Plus coûteux, ce type d’éclairage était auparavant plutôt utilisé en intérieur. Si elle témoigne d’un intérêt croissant pour cette technique, l’omniprésence de l’éclairage indirect dans l’exposition de 1931 constitue surtout une démonstration de puissance et de modernité. La France présente à cette occasion le savoir-faire des entreprises françaises en matière d’éclairage public et de mise en lumière des monuments. L’ensemble des illuminations est conçu par les architectes André Granet et Roger-Henri Expert. Le magazine L’illustration souligne l’importance des moyens déployés : environ 3 000 projecteurs et 2 000 luminaires sont installés pour l’événement.

Une ambiance exotique et féerique

Tout est mis en œuvre pour attirer le visiteur aux nocturnes et l’usage de l’éclairage indirect est idéal pour renforcer l’ambiance féérique et exotique de l’événement.

La nuit, le visiteur se repère dans son parcours grâce à des luminaires aux formes diverses. L’allée des Colonies - allée centrale de l’exposition - est bordée de 47 pylônes hexagonaux tricolores aux couleurs du drapeau français. Des lampes à incandescence dissimulées dans des moulures éclairent indirectement le pylône en tôle blanche ; des tubes au mercure (bleus) et au néon (rouges) alternent sur les arrêtes. En outre, de la vapeur sortait du haut du pylône, renforçant l’effet féérique.

Plus de 300 candélabres « chenilles » éclairaient la grande route ceinturant l’exposition et près de 200 candélabres « boucliers » éclairaient les cheminements secondaires (ils évoquaient les boucliers d’Afrique : deux plaques en tôle blanche emboutie diffusaient la lumière de la lampe cachée par une coupelle métallique). Enfin, 300 candélabres « lotus » entouraient le lac Daumesnil. Ils étaient appelés ainsi à cause des surfaces en staff peintes en blanc, en forme de feuilles de lotus, réfléchissant la lumière des lampes placées sur le fût.

L’exposition joue aussi sur l’alliance spectaculaire de l’eau et de la lumière. Plusieurs fontaines lumineuses monumentales ponctuent le bois de Vincennes : le Cactus, la Belle Fleur, les Totems, le Grand Signal et le Miroir d’eau. On trouve également le Théâtre d’Eau, une scène avec gradins située à la pointe de l’île de Reuilly qui accueille chaque soir des spectacles de danse indigènes éclairés par des gerbes d’eaux colorées grâce à des projecteurs au verre teinté placés sous l’eau. Comme les pavillons, l’apparence des fontaines et des luminaires renforce l’ambiance exotique de l’ensemble en évoquant les colonies. Les revues de l’époque (Lux, L’Illustration) parlent de luminaires en forme de « chapeaux chinois » et de « boucliers africains ».

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éclairages dans l'Exposition coloniale de 1931
Anonyme, éclairages dans l'Exposition coloniale de 1931 (ensemble), 1931, Paris, négatif sur plaque de verre stéréoscopique, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2006.17.165

Mise en valeur de l’architecture

L’éclairage est également utilisé pour mettre en valeur les pavillons pendant les nocturnes, en particulier l’éclairage indirect : les façades réfléchissent la lumière provenant de projecteurs cachés dans la végétation ou de trappes qui sont fermées dans la journée. La lumière est parfois colorée par des écrans en verre teinté placés au dessus des projecteurs. Le temple d’Angkor-Vat (pavillon indochinois) est ainsi éclairé par 150 projecteurs diffusant des faisceaux lumineux verts, jaunes, bleus ou blancs.

La Compagnie Force et Lumière est chargée de réaliser l’éclairage du Musée des Colonies. Un projecteur de 1500 watts était placé derrière chaque colonne, à deux mètres de la façade. Ces 28 projecteurs dirigés vers le haut éclairaient directement et indirectement le bas-relief de Janniot. Pour la partie haute, le rayonnement atteignait le mur en étant réfléchi par le plafond de la galerie ; 20 autres projecteurs moins puissants (200 watts) éclairaient le sous-bassement. L’emplacement des projecteurs et leur direction ont été particulièrement étudiés pour souligner la fresque sculptée sans perturber sa compréhension.

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Façade du Musée des Colonies éclairée en 1931
Façade du Musée des Colonies éclairée. Anonyme, Exposition coloniale de 1931 (ensemble), 1931.
Négatif sur plaque de verre stéréoscopique, 6 cm x 13 cm

Dans le musée, un mobilier d’éclairage typique des années 30

Comme à l’extérieur, l’éclairage électrique dans le musée fait l’objet de nombreuses réflexions. L’objectif est double : pour l’Exposition coloniale il faut disposer d’un éclairage en nocturne participant à l’atmosphère festive tandis que pour le musée l’éclairage électrique contribue à mettre en valeur les collections. La collaboration entre l’architecte (ou l’artiste-décorateur) et un expert de l’éclairage est courant à cette époque. Auparavant la forme décorative primait sur sa fonction et son efficacité. Désormais, les deux fonctions décorative et utilitaire sont indissociables et le mobilier créé pour le Palais de la Porte Dorée en témoigne. Plusieurs plans préparatoires dessinés par Albert Laprade attestent de l’attention particulière portée à la question de l’éclairage.

Bien qu’il ait été façonné par différents artistes, le mobilier du musée montre une grande uniformité de style. Les lampadaires de Raymond Subes font écho à ceux d’Eugène Printz dans le salon Lyautey et se rapprochent aussi des plafonniers coniques installées au rez-de-chaussée. Les formes tronconiques évoquent aussi la forme des candélabres « chenilles » présents dans les allées de l’exposition.

Tout le mobilier d’éclairage du Musée des Colonies, créé en 1931 avec le Palais, s’inscrit dans le style Art déco : l’usage du verre (brossé ou dépoli) est typique de ce courant ainsi que les formes sobres et géométriques. Tout le mobilier d’éclairage utilisé pour les espaces de réception au rez-de-chaussée était inclus dans la commande faite aux ferronniers et ébénistes : Raymond Subes a réalisé les lampadaires du hall d’honneur et deux vases-réflecteurs (ou « vases-éclairants ») pour le salon Reynaud. Pour le salon Lyautey, c’est Printz lui-même qui a créé l’éclairage en intégrant les lampadaires dans les deux tables en bois de palmier.

L’éclairage zénithal : geste architectural et muséographique.

Le travail sur la lumière naturelle n’est pas en reste dans le palais. Cela se manifeste dès le hall d’honneur : celui-ci est largement ouvert sur l’extérieur par de nombreuses portes-fenêtres laissant abondamment entrer la lumière. Les salons ovales qui le bordent sont également pourvus de larges portes-fenêtres. Pour les autres espaces du palais, l’architecte Albert Laprade a préféré l’éclairage zénithal.

Cela s’explique notamment par la différence de fonction des différents espaces. Le hall et les salons ovales étaient avant tout des espaces de réception alors que les autres espaces étaient pensés comme des espaces d’exposition. Or, l’éclairage zénithal est souvent privilégié dans les musées car il permet de garder toutes les surfaces de murs disponibles pour la présentation des collections.

Cependant, alors que l’éclairage est habituellement plutôt direct, Albert Laprade privilégie ici un éclairage zénithal indirect : la source lumineuse est cachée. A l’époque, le choix de l’éclairage direct ou indirect fait débat dans le monde muséal, l’exemple du Palais de la Porte Dorée (et en particulier de sa salle des fêtes) sera cité lors de la conférence de l’Office International des Musées à Madrid en 1934 (première conférence internationale dédiée à l’éclairage dans les musées).

La toiture de la salle des fêtes (aujourd'hui "Forum") se compose de cinq gradins superposés de forme carrée, les fenêtres placées verticalement sont ainsi dissimulées par les plans horizontaux débordants. En plus de dissimuler la source lumineuse au visiteur, ce dispositif permet d’éviter l’éblouissement et d’obtenir un éclairage indirect diffus et homogène en reflétant la lumière vers le plafond. Par ailleurs, les plans horizontaux des gradins permettent aussi de dissimuler les éclairages électriques. Ainsi l’éclairage diurne et nocturne se confondent. La couleur blanche de l’ensemble contraste avec la polychromie des fresques et permet une réflexion des rayonnements plus efficace.

Laprade avait déjà conçu des toitures en gradins au Maroc afin de lutter contre la chaleur et éviter le dépôt de poussière, il s’en est probablement inspiré. Les halls latéraux sont éclairés par ce même dispositif en gradins. Ils différent seulement du forum par leur plan rectangulaire (et non carré) et le nombre de gradins (trois au lieu de cinq).

À l’étage du Palais, les galeries sud, est et ouest sont éclairées par une série lanterneaux circulaires. Les autres espaces de l’étage (palier sud et salles adjacentes aux galeries est, ouest et nord) sont couverts par des lanterneaux carrés ou rectangulaires à vitrage vertical également. Le lanterneau, qui permet un éclairage indirect, est en vogue au début du XXe siècle, aussi bien dans des bâtiments publics tels que des écoles, des magasins, des musées, et dans l’architecture privée. Le pavillon du Studium Louvre édifié par Albert Laprade pour l’exposition des Arts décoratifs de 1925 en est un exemple.