Le mur des "grands coloniaux"
Gravée sur le mur ouest du bâtiment, figure une liste de noms que l'architecte du Palais, Albert Laprade, voulait « à la gloire de tous ceux qui ont concouru à la formation de l’empire colonial français ».
« À ses fils qui ont étendu l’empire de son génie et fait aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante »
Les "grands coloniaux" : une vision fantasmée de la colonisation
La façade ouest du Palais de la Porte Dorée, donnant sur l’avenue Armand-Rousseau, comporte une grande inscription gravée en 1931 à l’occasion de l’Exposition coloniale et constituée d’une dédicace et d’une liste de noms et notices biographiques rendant hommage aux "grands coloniaux".
Cette expression valorisante, que l’on retrouve dans la presse et les manuels scolaires de l’époque, désigne différents acteurs de la colonisation française, qui sont élevés au rang de personnages historiques. Les noms sont classés par ordre chronologique, de l’an mille jusqu’au début du XXe siècle, dans une vision fantasmée de la colonisation qui remonte jusqu’aux Croisades. La réalisation de l’inscription témoigne ainsi de la vision idéalisée que l’on avait des colonisateurs dans les années 1930, mais aussi plus spécifiquement des influences esthétiques de l’architecte du Palais, Albert Laprade.
L'élaboration d'un projet de célébration de la colonisation française
Un dessin de trois-quarts du Palais de la Porte Dorée daté du 29 juin 1927 nous renseigne sur l’ancienneté d’un projet d’inscription sur la façade ouest du bâtiment. La forme que doit prendre cette inscription n’est cependant pas encore arrêtée, comme le suggère l’arbre qui cache opportunément la façade. Un autre dessin figure quant à lui une longue inscription gravée en-dessous de médaillons. Cette disposition pourrait correspondre à la description que fait le commissaire général adjoint de l’Exposition coloniale, Léon Cayla, dans les colonnes du journal Comoedia du 1er octobre 1927 : « Sur les bas-côtés seront inscrits les grands gestes de l’épopée coloniale française : les plus beaux noms, les plus belles dates ».
Il s’agit ainsi de célébrer l’histoire de la colonisation française par des noms et des dates marquantes, et ce, sur les deux façades latérales, la façade ouest côté Paris et la façade est côté Saint-Mandé. À cette date, la réalisation de cette inscription dépend néanmoins de l’avancement des travaux de gros-œuvre. Le projet présenté au Comité esthétique de la Ville de Paris le 5 août 1927 comprend ainsi un plan du revêtement en pierre de façade latérale ouest.
Face aux réserves du Maréchal Lyautey sur le principe même du bâtiment, Albert Laprade défend son projet au début de l’année 1928, déclarant à propos des façades latérales :
« Elles étaient volontairement simples pas désir d’économie. Les façades en pierre devaient dans notre pensée être couvertes d’inscriptions à la gloire de tous ceux qui ont concouru à la formation de l’Empire Colonial Français. Beaucoup de noms méritent d’être sauvés de l’oubli et leur place eut été là dans ces grandes commémorations comme savaient les faire les Romains. »
Tout en mettant en avant la simplicité des façades en pierre, Laprade adopte une approche différente de celle de Cayla pour justifier les inscriptions. Il s’agit moins de raconter l’histoire de la colonisation française que de rendre hommage aux grands coloniaux dans une perspective mémorielle. Les festivités romaines dont il est question ici font probablement référence aux triomphes et cérémonies au cours desquelles des arcs étaient parfois construits en l’honneur des vainqueurs. Si Lyautey finit par valider le principe du bâtiment à Vincennes, la question de la décoration extérieure, dont font partie les inscriptions au même titre que le bas-relief de la façade principale, est laissée en suspens.
La référence aux Romains n’est pas seulement historique mais aussi esthétique, comme le suggèrent deux plans datés du 23 novembre 1928. Sur le premier plan, la dédicace sous la corniche est seulement constituée des mots "LA FRANCE", dont les barres des A prennent la forme de V, afin de probablement figurer le V romain de façon plus moderne. Cette typographie a été conservée pour l’inscription gravée en 1931.
Le second plan propose une première disposition avec une dédicace suivie d’un rappel des différentes catégories de personnes concernées : "marins", "explorateurs", "soldats", "colons", "missionnaires", "médecins", "éducateurs" et "administrateurs". Au-dessus et entre les baies, des renfoncements creusés sur la façade sont censés recevoir les noms de ces "enfants de France". Cela rappelle la façon avec laquelle les noms sont présentés sur les façades intérieures des piliers de l’arc de triomphe de l’Étoile, qui fait alors figure de modèle de monument commémoratif de style néo-classique.
Faire du Musée "une sorte de Panthéon"
Au début de l’année 1930, la construction du bâtiment étant bien avancée, la question de l’inscription revient à l’ordre du jour. Mais le maréchal Lyautey semble toujours réticent. Laprade réaffirme alors le caractère mémoriel des inscriptions, qui feraient du musée « une sorte de Panthéon ». La dédicace finale, « À ses fils qui ont étendu l’empire de son génie et fait aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante », est ainsi une référence directe à celle du Panthéon. Bien que Lyautey « désire avant tout éviter le type de musée nécropole », il finit par accepter le principe de l’inscription, qui se voit cependant réduite à la seule façade ouest.
Sur proposition de Laprade, l’élaboration de la liste de noms des coloniaux est confiée au commissariat de la section Rétrospective du futur Musée des colonies, dont le parcours a justement pour objectif de retracer l’histoire coloniale. Une commission de spécialistes est chargée d’arrêter définitivement la liste des noms, ainsi que de renseigner les « dates de naissance et de décès et le rappel des titres de gloire par zone d’action qui leur sont attribués ».
Au début de l’année 1931, Laprade décide de traiter avec le sculpteur Emmanuel Guérin pour réaliser l’inscription, celui-ci ayant été « chaudement recommandé par M. Azéma qui l’a employé pour toutes les inscriptions de l’ossuaire de Douaumont et par M. Janniot qui lui avait confié les inscriptions du Monument de Nice ».
Emmanuel Guérin s’est ainsi principalement illustré dans la gravure de noms pour les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, construits dans les années 1920.
Le 2 février 1931, Laprade se plaint que la liste ne soit toujours pas validée par le ministère des colonies, déclarant avoir « absolument besoin dans l’esthétique de [s]on bâtiment de faire graver cette grande inscription ». Le contenu de l’inscription n’est toujours pas confirmé début mars, comme nous l’apprend un plan daté du 2 mars 1931 relativement similaire à celui de 1928.
La réception de la liste validée fin mars permet, finalement, la réalisation de plans de l’inscription correspondant en grande partie à ce qui a été gravé.
On peut observer sur une photographie du Palais, les échafaudages sur la façade ouest avant que les noms ne soient gravés. Selon un rapport, l’inscription n’aurait été « remise que 8 jours avant l’inauguration », c’est-à-dire vers le 28 avril 1931, soit un peu plus d’un mois après le début des travaux.
Si un espace est laissé vacant sur le côté droit du mur pour l’ajout de nouveaux noms, aucun n’est finalement ajouté. En 1935, le Palais perd de plus sa dénomination de musée des colonies pour devenir le musée de la France d’Outre-mer. L’inscription des noms des "grands coloniaux", voulue par Albert Laprade pour des raisons à la fois mémorielle et esthétique, est ainsi laissée telle qu’elle a été présentée le jour de l’inauguration de l’Exposition coloniale.